Tout commence par une conversation bien mystérieuse : Vous pouvez venir me chercher ? Où çà ? A la gare de Vouzeron… Pourtant habitant à Vouzeron depuis plusieurs années, et même dans la proche région, je n’ai jamais entendu un bruit de train qui circule, je n’ai jamais vu une voie ferrée et encore moins un passage à niveau, ni même un panneau ou signal…
Il faut remonter au début du siècle précédent pour comprendre ce mystère.
Au début de l’année 1900, l’amélioration des relations ferroviaires entre Vierzon et le Sancerrois devient une priorité mais il faut attendre 1905, sous l’impulsion du conseil Général pour que le préfet procède aux études d’une ligne de Neuilly en Sancerre à Vierzon par Henrichemont.
Ainsi le 12 avril 1906 un rapport est adressé au Prefet par le service des Ponts & Chaussées indiquant le parcours de la ligne à travers différentes communes afin d’effectuer cette liaison d’environ 68 Kms. Un embranchement est même envisagé entre Vignoux et Mehun su Yèvre. Dés 1907 un appel d’offre est effectué et en avril 1908, M Jeancard obtient la convention pour la réalisation de cette liaison, une enquête (1909) puis des lourdeurs administratives vont encore repousser la construction de plusieurs années, sans compter les problèmes liés aux expropriations et aux nombreux travaux de terrassements….
Cet article va se focaliser que sur le tronçon entre Vignoux/Barangeon et Neuvy/Barageon et qui dessert les communes ou les arrêts : St Laurent, Bubelle, Vouzeron et Chavanons. L’Exploitation de ce tronçon est confiée à la compagnie des chemins de fer Economiques des Charentes (Dirigée par Mr Jeancard) et nous allons étudier les ouvrages conçus et les anecdotes sur ce parcours. C’est d’ailleurs ce tronçon qui donna le surnom à la ligne : « Le Barangeonnier ».
Il faut tout d’abord savoir que la ligne a été mesurée à partir de Neuilly Moulin Jamet, soit donc le kilomètre 0, jusqu’à Vierzon kilomètre 68. Mais que les travaux concernant les communes qui nous intéressent (voir ci-dessus) ont commencé à partir de Vignoux sur Barangeon. En effet Mr Jeancard décide d’approvisionner son matériel par le canal du Berry avec déchargement à Foëcy, soit à 2,5 kms de distance de Vignoux/Barageon. Une voie ferrée provisoire est donc créée pour acheminer le matériel nécessaire pour la conception de la ligne principale au départ de Vignoux/Barangeon. Ainsi en Novembre 1912, commence les travaux… A titre d’anecdote, on utilise dans un premier temps comme ballast, les pierres en silex du Barageon.
Parallèlement la constructions des gares de Neuvy/Barageon, Vouzeron, St Laurent et Vignoux/Barangeon est confiée à Duras & Devrad, compagnie qui va utiliser une partie des briques faites au moulin chartier (voir article sur le moulin chartier). Ces gares sont standardisées, elles disposent d’une salle d’attente, d’une cuisine, d’une salle pour les bagages et la messagerie et d’un bureau à billets. A l’étage se trouve 2 chambres et un grenier. La gare de Vouzeron dispose en plus d’une cave. Un quai prolonge la gare jusqu’à une halle marchandises. Les installations sanitaires étant à l’opposé du quai, sont constituées d’un turque, de lettrines et d’un siège à l’anglaise pour les dames, le tout allant dans une fosse à vidanger. Elles seront terminées en février 1914.
Comme les gares, des ouvrages d’art sont construits avant la pose de la voie. Il s’agit essentiellement de tabliers métalliques qui seront finis dés l’été 1912. On trouve ainsi en partant de Vignoux/Barangeon (km : 56) et après la gare de Saint Laurent (km : 53) un pont de 18m composé d’un tablier métallique qui surplombe le barangeon à plus de 2,50m. Ce pont est toujours visible et vient d’être récemment remis en valeur lors de la création de la base de loisir à St Laurent. Il permet à partir de la base de rejoindre l’école et la mairie du village sans passer par la route.
Ce n’est malheureusement pas le cas du pont de Vignoux qui, cachait dans les bois, est victime des caprices du temps.
Toujours en remontant vers Neuvy/Barangeon (km : 41) et après la gare de Vouzeron (km : 48), un petit pont (km : 44) de 1,2m est construit afin de franchir le ruisseau des Chavanons.
Enfin un autre pont métallique (km : 43) de 14m est construit pour de nouveau franchir le Barangeon avant d’arriver à Neuvy. Ce pont, perdu au milieu des bois, est toujours visible. Malheureusement le chemin qui se prolonge arrive à un terrain privé, ce qui ne permet pas de remettre en valeur cet ouvrage.
Outre les gares et les ouvrages d’art, 2 quais sont construits pour les arrêts de Bubelle (Km : 50) et des Chavanons (Km : 44). Ces arrêts se trouve le long de la D30 comme d’ailleurs la majorité de la voie ferrée.
1912, c’est aussi l’année d’arrivée des 6 locomotives qui débarquent directement à Foëcy. En effet ces dernières vont servir à la conception de la ligne, la construction des gares, aux tests des ouvrages d’art… Elles pèsent chacune plus de 19t en ordre de marche (15t à vide), fonctionnent au charbon ou au bois, et disposent d’une grande cheminée à l’avant. Peu entretenues, elles seront partiellement remplacées en 1930 par des autorails lors de l’exploitation de la ligne par la compagnie des Tramways de l’Indre.
Tout cela s’accompagne également des travaux concernant la voirie : le chemin de fer va croiser des routes plus de 40 fois entre Vignoux/Barangeon et Neuvy/Barageon sans aucune installation de sécurité : ni panneau, ni barrière !!!. Il est aussi nécessaire de procéder à l’empierrement de certains chemins et à la déviation de certains ruisseaux. Enfin une ligne télégraphique (ou téléphonique) est installée entre les gares.
Il faudra attendre janvier 1914 pour que cette ligne puisse fonctionner pour le transport des voyageurs. D’ailleurs c’est surtout les personnes du « Barangeon » (personnes de nos villages), qui utilisent cette ligne : Ainsi chaque jour, 3 trains partent de Vierzon, tandis que 3 autres trains partent de Neuilly en Sancerre. Un des points d’eau étant situé à Neuvy / Barangeon.
Les voyageurs peuvent bénéficier dans chaque voiture d’une première (8 places) ou d’une deuxième classe (35 places). Celles-ci sont chauffées par à un poêle, la première classe bénéficiant d’un accès plus proche au poêle et de banquettes capitonnées. Mais la guerre qui éclate va tout changer…
Dés le début de la guerre, l’exploitation de la ligne donne des résultats inférieurs aux provisions dont les causes sont multiples : Nombre de passagers insuffisants, le manque de puissance des locomotives, modification du trafic (à cause des trains réquisitionnés pour la guerre), restriction sur le charbon, manque de mécaniciens (partis à la guerre), le manque d’une desserte au niveau de Vierzon, des travaux non terminés… La guerre « apporte » néanmoins un nouveau trafic nécessitant la création d’embranchements particuliers : Mercier (km : 46) et Blanzy (km :45) : L’exploitation au profit de l’armée du bois nécessaire pour les tranchées.
Au sortir de la guerre la situation est difficile avec autant de déficit. L’armistice ne signifie pas un retour à la normal : il faut refaire tout l’entretien délaissé aussi bien de la voie que des trains et locomotives. De plus les incidents fréquents provoquent des retards nombreux ce qui découragent les voyageurs. La compagnie d’exploitation de la ligne demande des subventions supplémentaires que le département ne peut octroyer.
En 1927, à cause du manque de voyageurs, le nombre de wagons est réduit et la 1er classe est supprimée. Cela s’explique par le développement de l’automobile, ainsi dés 1928 des lignes d’autocars subventionnés par le département sont mises en place… Il en est de même pour le transport de marchandises où les tarifs et les délais sont trop importants par le train…Cela conduit en 1930 au changement de la compagnie d’Exploitation par le rachat de la concession par le département. La compagnie des Tramways de L’Indre est alors nommée comme exploitant. Elle met en service 3 autorails qui fonctionnent à l’essence avec une autonomie de 200 Kms, permettant d’éviter des arrêts pour charger du charbon ou de l’eau.et pouvant transporter jusqu’à 24 personnes… Mais la grande crise économique de 1929 et la concurrence routière ne font font qu’accentuer les difficultés, la pose obligatoire de panneaux routiers (triangle rouge « locomotive ») sur les routes de plus en plus fréquentées et traversées par la voie ferrée en est la meilleure preuve…
La ligne de chemin de fer qui ne vit que par subventions accordées par l’Etat au département accuse un déficit permanent. Et en juin 1938, l’état se désengage de ses obligations laissant cette ligne avec des charges lourdes que seul le département doit assumer.
La réaction est rapide est en Janvier 1939 la décision est prise de privilégier l’exploitation routière et à la revente du matériel constituant la voie de chemin de fer et du matériel roulant. Le 14 mai 1939 verra passer le dernier train, la dépose de voie commence alors et sera stoppée par la guerre : Vierzon étant coupé en deux par ligne de démarcation. Par la suite la dépose va continuer à un rythme plus lent pour être totalement achevée en 1948.
A noter qu’aucune décision n’est prise concernant les tabliers métalliques des ouvrages d’art ce qui explique la présence des ces témoignages sur les communes citées.
Il est en de même pour les gares qui deviendront à Vignoux sur Barangeon : le bureau de poste, à St Laurent, Neuvy sur Barangeon et Vouzeron des résidences particulières. A Vouzeron la gare est transformée en 2 logements servant de résidences en location.
Peu de témoignages nous reste de cette époque, le docteur Jouvet, alors jeune enfant, a décrit ce pittoresque tacot avec ses plate-formes et son poêle : « Nous prenions un incroyable tacot qui en heure et demie (au départ de Vierzon), je crois me souvenir, nous menait à Vouzeron. Cela ne manquait pas de pittoresque ; il y avait surtout une plateforme (à la queue des wagons), remarquable pour les enfants au grand dam des parents qui n’aimaient pas, à juste titre, voir les enfants sur la plateforme de peur qu’ils ne tombent. La plus recherchée étant celle de la queue du train… C’était un peu comme ça que j’imaginais le train du Far-West, mais en beaucoup plus lent… Quand on arrivait, on était accueilli par la moitié du pays, presque comme des aventuriers.. »
80 Ans après, la forêt a essayé de reprendre le terrain perdu. Pourtant, avec un œil averti et en examinent le remblais, on peut découvrir dans les bois de Vouzeron des traces du tracer de cette ligne ferroviaire.
Et pour les plus curieux, vous pouvez encore découvrir des pavés, un poteau voir même certaines traverses abonnées et seuls vestiges de cette ligne ferroviaire.
Le mystère est donc levé, la gare de Vouzeron existe bien encore, ainsi que des traces nombreuses mais cachées de la voie… Vous pourrez toujours demander la gare mais n’espérez pas y prendre un train…
Merci à D, Godard, P. Braud et aux différents témoignages pour la conception de cet article. Pour en savoir plus : il existe, chez « Les éditions du Cabri », un livre d’André Jacquot qui aborde la totalité de cette ligne de chemin de fer sur les aspects techniques et administratifs. Et si vous, lecteur, vous avez des renseignements ou des archives sur cette page d’histoire de Vouzeron (ou sur une autre), n’hésitez pas à m’écrire (rubrique Contact Webmaster).
La carte complète de cette ancienne ligne est disponible ici.
Jean Lasson.